Agrégateurs et plates-formes collégiales: une piste pour les pure players?


Pouvoir accéder, avec un seul compte, aux contenus (payants) de divers médias qui, chacun, ont leur propre modèle de tarification (un pay wall répondant à divers mécanismes)? Pouvoir piocher, butiner, librement, selon ses humeurs, ses pôles d’intérêt? Pourquoi n’y a-t-on pas pensé? Pourquoi ne le fait-on pas, comme cela existe dans d’autres domaines (via des plates-formes telles que Deezer ou Spotify)? Ne serait-ce pas là une piste de “monétisation” et de pérennisation pour la presse – la presse purement en ligne en particulier?

On n’y a pas pensé? Mais bien sûr que si! Nombreux sont ceux qui y ont pensé. Le principe d’agrégateur ou de “kiosque numérique” a été imaginé, testé et déployé dans le monde de la presse (1).

En France, par exemple, ce modèle de tarification unique multi-médias par un intermédiaire a vu le jour pour la presse en-ligne dès le milieu des années 2010. Le modèle choisi était l’accès par article, moyennant un micro-paiement par article avant de quelques centimes à un maximum de 10 euros.

La formule a toutefois plié bagage, sur un constat d’échec, en 2019.

De l’autre côté du Rhin, c’est en 2012 que les premiers projets de “kiosque” ont vu le jour. Beaucoup plus récemment, plusieurs médias suisses se sont lancés dans l’aventure, avec la solution Onelog. Les clients des médias connectés (30 sites en-ligne représentant 90% du trafic d’actualités en Suisse, appartenant notamment à CH Media, NZZ, Ringier, TX Group et SRG) pourront ainsi se connecter avec un seul log-in.

Les avantages évoqués

Budget nettement plus abordable pour le lecteur, liberté de choix, analyse des préférences de “consommation” (titres, fréquence, thématiques…)… Les avantages pressentis, tant pour les abonnés-lecteurs que pour les médias concernés, sont nombreux.

Plusieurs modèles d’agrégation sont imaginables, comme le soulignait une récente étude allemande sur l’avenir du journalisme numérique commanditée par l’autorité des médias (BDZV – Bundesverband Digitalpublisher und Zeitungsverleger) du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie: “Les sites web des éditeurs de journaux pourraient rester totalement inchangés et n’être reliés que par un système commun de connexion et de paiement. Ou bien une méga plate-forme de contenus de journaux, sous une seule marque, pourrait être construite, avec un accès et un traitement de paiements unifiés, offrant des abonnements à plusieurs niveaux en fonction de l’intensité d’utilisation.

Un système de paiement simple pourrait être utilisé, offrant des abonnements ou un paiement à l’unité. Les éditeurs de journaux pourraient unir leurs forces et proposer un tel modèle conjointement ou ils pourraient rejoindre une plate-forme numérique extérieure au secteur.”

 

“La plupart des inconvénients d’un “Spotify pour le journalisme” pourraient être considérablement réduits si la plate-forme était mise sur le marché de manière indépendante par les éditeurs.” – Source: étude de la BDZV (Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie)

 

Les éditeurs estiment toutefois que les risques l’emportent sur les avantages potentiels. Quels sont ces risques pointés par l’étude?

– risquer de cannibalisation, tout d’abord – la plate-forme finissant par être contre-productive, les lecteurs passant par la plate-forme pour “papillonner”, réduire leurs dépenses de consommation de médias et annuler les abonnements pris en direct avec les titres individuelles
– affaiblissement de la relation directe entre lecteur et média
– prise de contrôle par la plate-forme qui dicterait ses conditions aux éditeurs, “l’agrégateur fixant la norme et établissant les règles”
– main-mise sur la politique de prix
– exploitation indésirable des données des lecteurs
– dévoiement de l’indépendance et de la multiplicité de facettes du traitement de l’information au cas où la plate-forme agirait à la manière d’un Facebook, créant des “bulles thématiques” sans que les éditeurs ou chaque titre en particulier n’ait plus droit à la parole.

Pour espérer réussir et éviter ces écueils ou dérapages que les médias redoutent, quatre règles minimales semblent indispensables selon l’étude de la BDZV:
– intégrité et liberté du média
– capacité de chaque éditeur/média à déterminer le prix de vente de son “produit” journalistique
– préservation de la relation directe avec le lecteur final et de la souveraineté sur les données lecteur
– protection de la marque.

(1) Exemples de “plates-formes” du genre agrégateur ou kiosque numérique? Blendle, Readly, Read-it, Newsadoo, Pressreader…

Source: “Spotify pour les news ? L’agrégation, un défi pour les éditeurs” – Avril 2021

 



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