“Jeunes journalistes en quête de sens”. Une étude d’Amandine Degand (IHECS)


En guise de préambule à notre conférence annuelle du 28 octobre, nous avions invité Amandine Degand, journaliste et enseignante à l’IHECS (institut des hautes études de communications sociales), à venir exposer les principales conclusions de son étude “Jeunes journalistes en quête de sens”. Comment les journalistes fraîchement engagés dans la profession la perçoivent-ils? En quoi leur appréciation a-t-elle évolué par rapport à ce qu’ils en espéraient ou à ce qui leur avait été présenté lors de leurs études?

16 journalistes d’une vingtaine d’années, en activité, ont été interrogés pour les besoins de cette étude.

Les conclusions qu’Amandine Degand en a tiré? Sans totalement perdre leurs illusions ou l’espoir de concrétiser leurs aspirations, ils et elles sont souvent passé(e)s d’un enthousiasme, certes légèrement mâtiné de réalisme, à un désenchantement parfois profond.

Les attentes initiales. Les raisons pour lesquelles les jeunes se lancent dans des études de journalisme varient. Amandine Degand en a recueilli de trois types: l’aspiration à un épanouissement personnel, humain, intellectuel (l’attente est alors davantage de faire ce métier pour soi) ; l’espoir (mais ce n’est pas un argument majoritaire) de jouer un rôle social, d’avoir un impact sur le public, sur la société, d’apporter une plus-value ; ou encore la perspective d’en tirer une reconnaissance, une visibilité…

Souvent, ils désirent ou aspirent à faire carrière, à “durer” dans le métier. Parmi les jeunes journalistes qui opèrent au niveau local, l’aspiration est de pouvoir travailler pour un média où leurs productions auront une visibilité nationale. Beaucoup, lorsqu’ils sont aux études mais aussi en début de carrière, aspirent à faire du journalisme de temps long, de l’investigation, du slow journalisme. Tout en étant conscients qu’il s’agit d’un “idéal” difficile à atteindre.
Le journalisme de temps long, quand il se passe en-ligne, prend essentiellement la forme, dans leur tête, de mooks, d’un nouveau type de documentaires…

Le désenchantement. La réalité les rattrape immanquablement. Souvent très rapidement. Mais comme ils étaient souvent, dès le départ, conscients des difficultés, ils tentent de “rationnaliser la situation”.
Travail précaire, horaires à rallonge, pression sociale à cause des horaires, salaires attrayants, statuts peu stables, long sas du début de carrière (piges, stages, CDD renouvelables, chômage…). Dans une certaine mesure, ils l’acceptent. Ces conditions sont source de désagréments mais aussi de… motivation et de stimuli. “Ambivalence du discours”, souligne Amandine Degand. “Les personnes interrogées savent qu’ils et elles traversent une période difficile qui pourrait s’étaler dans la durée, et l’acceptent. Elles estiment devoir “vivre au jour le jour”, accepter que “c’est le sort réservé aux débutants”. 

 

La plupart abandonnent après quelques années. Ils se livrent aussi au “bidouillage”, se définissent des limites temporelles, refusent certaines offres, pensent à un “plan B” ou à une sortie maîtrisée – s’arrêter si cela n’a plus de sens et/ou si les conditions de travail ne s’améliorent pas…

 

Créer son média? Ils en ont envie mais c’est une utopie, estiment-ils souvent. “C’est difficile sur le plan économique. C’est une possibilité de s’épanouir et de maîtriser un projet de A à Z. C’est par contre aussi une manière de se créer de la visibilité… même si on n’est pas rémunéré.”

Des questions attendant réponses…
“Faut-il encore prévenir les jeunes de la difficulté de la réalité professionnelle qui les attend? Dans mon activité d’enseignante, j’ai souvent le sentiment qu’on les prévient déjà beaucoup, peut-être même trop…”
“Les enseignants privilégient-ils trop le temps long comme unique modèle de journalisme?”
“Ne leur vend-on pas aussi quelque chose que très peu d’entre eux auront la chance de pratiquer?
”On leur dit beaucoup, dans leur cursus, un peu trop même, que les conditions de travail vont être difficiles. Mais les y prépare-t-on véritablement? Que peut-on mettre en place dans les écoles pour mieux armer les étudiants en termes d’employabilité?”
“Ne serait-il pas urgent de réfléchir à la manière dont les rédactions, au niveau managérial, peuvent limiter la durée du “sas”, cette période d’insertion professionnelle précaire qui a tendance à s’étendre dans le temps?”



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