Les entreprises de presse dans la tourmente


Pas simple d’être « patron de presse » par les temps qui galopent vers la récession : le coût du papier journal est de plus en plus élevé, les coûts énergétiques sont ceux que vous connaissez trop bien, ceux du transport aussi. Et les versions numériques des journaux ne compensent pas ces pertes. Donc, les éditeurs tentent de rogner sur le nombre de pages, sur la périodicité, sur le nombre de journalistes. 

Au centre des préoccupations de la presse écrite : le contrat de gestion de la RTBF (2023 – 2027), en pleine discussion actuellement avec le cabinet de la ministre Linard en charge des médias en Communauté française. Or, selon le dernier point sur ces discussions, la RTBF se verrait autorisée à élargir ses missions aux services écrits en ligne, à savoir l’information non produite par la RTBF et qui serait ainsi disponible gratuitement pour le public. Les éditeurs de presse montent donc au créneau et dénoncent cette concurrence déloyale de la RTBF qui est subsidiée par les pouvoirs publics. D’autant qu’un certain nombre d’articles sont des reprises d’articles parus sur les sites des journaux papier. 

Un tel modèle économique est intenable et si les éditeurs doivent se repositionner sur les éditions numériques, ils doivent pour cela agrandir considérablement le nombre de leurs abonnés… qui risquent de ne pas être au rendez-vous, car captés par la gratuité des infos sur la RTBF.

Pourtant, les autorités de régulation de l’audiovisuel sont censées veiller à ce que 60 à 70% des contenus publiés sur le site de la RTBF soient en lien avec des vidéos ou podcasts de cette même RTBF. 

Cette dernière affirme que ces préoccupations sont bien prises en compte dans le projet de contrat de gestion.

Reste que le système papier de la presse traditionnelle est menacé à cause de l’augmentation fulgurante du coût du papier. On risque de voir disparaître dans les prochaines années plusieurs titres de presse et des rédactions de journalistes. Au détriment du pluralisme des médias en Communauté française

Les droits d’auteur

Lors des récentes Assises européennes du Journalisme à Bruxelles, le vice-premier ministre Pierre-Yves Dermagne s’est inquiété des revenus et des conditions de vie des journalistes dont 6 sur 10 sont pigistes et gagnent moins de 1600 € par mois. Il faut donc encourager le salariat, dit-il. Mais comment faire dans un contexte économique si difficile ? 

Il avance aussi la réforme de la fiscalité des droits d’auteurs, favorable aux journalistes et qui mérite protection. A ce sujet, l’Association des Journalistes Professionnels a envoyé une lettre aux membres de la Chambre des représentants car le projet de réforme de cette fiscalité aurait de graves conséquences sur les journalistes qui bénéficient actuellement d’une répartition 50/50 entre honoraires et droits d’auteur ; celle-ci devrait diminuer à 30%. Les « patrons de presse », on l’a vu, ne vont pas augmenter les salaires ni les piges des journalistes. Au contraire, ils parlent de réduction de effectifs. 

Reprendre ce que les GAFAM nous volent

Le thème de cette juste rémunération des journalistes a été abordé lors des Assises européennes du journalisme par son président d’honneur Jean-Marie Cavada, président de l’IFDRights et de l’OGC Droits Voisins de la Presse. Selon lui, il faut trouver un cadre qui élargisse la liberté mais aussi la sécurité des médias et des journalistes, notamment par cette loi sur les droits d’auteur et les droits voisins au niveau européen (les éditeurs négocient des droits voisins des droits des auteurs qui, eux, reçoivent un droit à la rémunération).

Cela permet des recours auprès de la justice afin de reprendre chez les grandes plateformes que sont les GAFAM (Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft) une part des bénéfices plantureux qu’ils se font sur le dos des médias et des journalistes, les seuls à faire de l’information. 

Or, se désole Jean-Marie Cavada, une vingtaine de pays seulement ont transposé cette loi. Ainsi, la France a pu sanctionner Google. Une sorte de justice économique face à une prédation exceptionnelle, dit-il. Il y voit une mort annoncée des monopoles qui sont les ennemis de la démocratie. 

En effet, ces GAFAM attaquent aussi la vie privée protégée par le RGPD (Règlement général sur la protection des données). Ils attaquent les institutions car ils sont libertariens et ne veulent pas payer d’impôts. Ils avalent beaucoup de métiers comme les assurances, les biotechs et triomphent avec les intelligences artificielles. Or, un smartphone doit rester un outil pour l’humain.

Il nous faut un renouveau du journalisme pour contrer les propagandes et opinions diverses véhiculées sur les réseaux sociaux qui doivent respecter notre charte fondamentale européenne. Sinon, ils éroderont la démocratie. On l’a vu avec la tentative de coup d’Etat aux Etats-Unis, avertit Jean-Marie Cavada.

Il nous faut une gestion collective des intérêts de la presse face à ces géants mondiaux, nous dit Frédéric Young, délégué général de la SACD et de la SCAM. Or, la presse ne s’unit pas en Europe.  Que fera-t-elle face au métavers dont on ne sait pas à qui il appartient ? L’adversaire est puissant. Frédéric Young explique à quel point les pressions de ces GAFAM sont énormes sur les législateurs européens, y compris par la corruption. Les patrons de Google ont même publié pour leurs cadres une marche à suivre pour déstabiliser les institutions européennes. 

Si les éditeurs de presse parviennent à leurs fins et reçoivent leur part des revenus des GAFAM, encore faut-il partager ces revenus avec les journalistes. Les discussions au niveau européen tournent autour de 30% minimum pour les journalistes. Pour l’AJP, 50% serait équitable !

A lire par ailleurs

Contrat de gestion : les subsides versés à la Rtbf détroussent le marché (Le Soir)

La flambée des prix du papier fragilise de nombreux secteurs (Le Soir)

Fiscalité des droits d’auteur : lettre ouverte aux membres de la Chambre des représentants (AJP)

Déjà parus sur le sujet dans Entre Les Lignes :

Le journalisme tend la main aux citoyens

Quelle est la liberté du journalisme



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