Quand la neutralité du Net ne suffit plus…


En octobre 2019, le SPIIL (syndicat de la presse indépendante d’information en ligne) organisait sa traditionnelle “Journée de la Presse indépendante”, émaillant la journée d’une série d’exposés et de débats, dont un consacré à la neutralité du Net. “Pour ou contre?”

Selon le continent où l’on se situe, selon le “camp” dans lequel on se positionne (opérateurs et sociétés commerciales, créateurs de contenus, journalistes), les arguments divergent.

De quoi parle-t-on?

La “neutralité” du Net se définit (dixit Wikipedia) comme la “garantie de traitement égalitaire de tous les flux de données sur Internet. Un principe qui exclut par exemple toute discrimination positive ou négative à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise sur le réseau.”

Pour assurer cette neutralité, les fournisseurs d’accès doivent garantir que, quelle que soit la nature du contenu – un film en streaming, des accès à des sites… -, aucune discrimination ne s’installe, par exemple par le biais d’un débit restreint ou des tarifs spécifiques.

L’Europe tend à vouloir garantir la neutralité du Net, au contraire de l’évolution qui se fait jour aux Etats-Unis.

D’autres “neutralités” sont nécessaires

Mais garantir la neutralité du Net en l’imposant au niveau des fournisseurs d’accès ne suffit plus à garantir une non-discrimination sur tous les canaux de diffusion et d’accès à l’information et aux contenus.

Le problème? Contrairement aux opérateurs telco, les fabricants de terminaux (smartphones, enceintes connectées…) ne sont ni régulés, ni tenus de se justifier. Ils ont pris le pouvoir via les systèmes d’exploitation embarqués dans ces dispositifs, imposant des contenus, des algorithmes de sélection d’information, empêchant les utilisateurs de supprimer certaines applications ou d’installer ce qu’ils voudraient.

La question se pose dès lors de la nécessité d’étendre le principe de neutralité du Net aux terminaux (y compris les assistants personnels ou encore les enceintes connectées) par lesquels passent par exemple les podcasts.

“Des plates-formes comme Google ou Amazon (via les assistants personnels) choisissent le contenu qu’on obtient quand on demande par exemple une info. Les “plates-formes” cadenassent le paramétrage et le choix des critères qui déterminent la réponse. Sans que l’internaute puisse comprendre ces critères ou avoir droit au chapitre.”

Le but serait de rebasculer le pouvoir de prescription vers l’individu.

En France, l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) milite en faveur de la création d’un organisme de régulation européen qui obligerait les fournisseurs de terminaux à expliquer a posteriori et à justifier l’accès (préférentiel) qui est fourni à telle ou telle source d’information et pourquoi. Cet organisme jugerait en outre si les explications fournies sont satisfaisantes.

Pour ce qui est des plates-formes d’agrégation et de distribution de contenus, il s’agira d’imposer la liberté de choix et d’obliger les distributeurs de contenus de presse à rester ouverts, sans possibilité de pratiquer l’interdiction de titres ou de sources jugés concurrents des médias qu’ils agrègent.

Une autre proposition française est d’obliger des acteurs tels que Google à transférer, sur demande, toutes les données qu’ils possèdent sur un internaute à d’autres acteurs, afin de rééquilibrer les rapports de force et de lutter contre l’effet de monopole.

L’idée prendra-t-elle racine? A-t-elle des chances d’aboutir? Quel poids des organismes – publics, essentiellement – peuvent-ils espérer avoir sur les géants de la Toile? Surtout si les résistances ne s’installent qu’au niveau local, pays par pays?

Pour espérer aboutir, certains, en France, recommandent une “coalition” entre petits régulateurs et la constitution d’un pool de ressources et d’expertises centralisé (avec data scientists, spécialistes des algorithmes…).



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